Je ne sais pas si nos jeunes confrères connaissent cet immense acteur de théâtre et de cinéma. Mais, dans le cas contraire, je les engage à regarder sur Youtube ® des extraits de film qui ont rythmé la vie des Français dans les années 1930-1940.
Philippe LANCE
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Louis Jouvet est né à Crozon, dans le Finistère, le 24 décembre 1887, dans une famille profondément catholique. Son père, briviste, est conducteur de travaux publics, sa mère Eugénie est ardennaise. A l’âge de 2 ans, le petit Louis est confié à sa grand-mère Marie. Il va vivre en Ardennes, à Belleville sur Bar, jusqu’en 1894.
A l’école, Louis est un enfant calme, réservé. Il travaille, il rêve. En 1901, la tragédie frappe la famille Jouvet. Louis Jouvet père est écrasé sous un rocher alors qu’il supervisait le creusement d’un tunnel. Eugénie amène sa famille vivre avec elle chez son frère qui est pharmacien à Rethel. Bientôt, Louis devra choisir une profession, et toute sa famille entend bien qu’il deviendra lui aussi pharmacien, comme son oncle. En attendant, il poursuit ses études au Collège Notre-Dame, où le chanoine Morigny, passionné de théâtre, anime avec intransigeance la troupe du collège. Louis bientôt néglige ses études tellement il est préoccupé par cette nouvelle passion, et il voudrait bien en faire sa carrière. Mais sa famille s’y oppose farouchement. Pour qu’on lui fiche la paix, il se pliera à leur désir, tout en ayant la ferme intention de consacrer tous ses temps libres à son amour pour le théâtre. Il ne fait que deux ans de stage : chez son oncle Séjournet à Rethel, du 25 juillet 1905 au 13 septembre 1906, chez Grès à Noisy-Le-Sec, du 14 septembre 1906 au 15 avril 1907* ; enfin, chez Rousseau à Levallois, du 18 avril 1907 à juillet 1907. Il avait obtenu une dispense d’un an par décision ministérielle du 13 juin 1907.
Son temps est partagé entre les stages en pharmacie et le théâtre amateur au sein du Groupe d’Action d’art. Jouvet participe à des représentations théâtrales, des récitals de poésie, mais prend aussi le temps de suivre les cours de l’Ecole nationale des Arts décoratifs. Reçu à l’examen de stage avec mention très bien, le 8 juillet 1907, il passe facilement ses trois examens de fin d’année (mention assez bien les deux premières années, mention passable en troisième année). Ajourné à son examen définitif le 21 Mars 1911 (il était déjà très pris par le théâtre), il est reçu à cet examen, avec mention passable, le 27 mai. Il passe normalement son deuxième définitif le 7 mai 1912 (mention assez bien) mais échoue le 20 juin 1912 à la première partie du 3°. Il ne sera reçu à cet examen que le 1° avril 1913, avec mention assez bien. Il passe la deuxième partie le 12 avril 1913 et est reçu pharmacien de 1° classe (mention assez bien). En 1912, il s’est marié avec Else Collin. Le fait que Jouvet soit pharmacien lui permettra, dans l’été 1914, de remplacer pendant quelques semaines son cousin Séjournet, avant de partir lui-même comme infirmier pour les armées.
Le reste de sa carrière sera bien sûr consacré au théâtre, mais il n’oubliera jamais sa formation initiale. Plusieurs personnes pourront témoigner de son attachement à cette profession qui va l’inspirer pour Knock !
Louis Jouvet est mort le jeudi 16 août 1951, à 20h 30.
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Lettre écrite par Jouvet le 26 avril 1906, probablement à Mr Grès (Noisy-le-sec)
(NDLR: admirez le style d’un homme de 19 ans)
« Monsieur,
Je m’empresse de répondre à votre lettre comme vous me le demandez, pour vous remercier tout d’abord d’avoir eu à mon égard un souvenir aussi fidèle et pour vous informer que je suis aussi satisfait que possible des conditions que vous m’avez exposées.
Je vous demanderai cependant un certain délai pour répondre, car je n’ai pas encore fait part de votre lettre à mon oncle. D’ici une huitaine de jours, vous serez fixé sur ma décision qui, je crois, n’aura rien que d’affirmatif : mais c’est surtout à propos de la date de mon départ que je tiens à vous donner plus de précision, car mon oncle a encore besoin de moi pendant quelques semaines.
Vous me demandez, Monsieur, mes capacités professionnelles ? Je vous dirai que je suis un bon élève de première année et que j’exécute beaucoup d’ordonnances seul. Je ne serai pas à même, il est vrai, de préparer l’électuaire thériacal ou le sirop antiscorbutique d’après le Codex ; mais pour ce qui est des manipulations courantes, je me sens apte à ne pas me montrer novice d’une manière générale.
Quant à mon physique, malgré mes dix-huit ans et demi, je crois qu’il peut répondre à toutes les exigences du métier, aussi bien par le sérieux que par la faculté que me donnent mes 1,84 m d’aller chercher les bocaux dan,s les sphères supérieures de l’officine.
Croyez bien, Monsieur, que si je change d’officine ce n’est pas dans un but pécuniaire, étant élève stagiaire rémunéré ; j’établis encore une profonde distinction entre ce dernier et un employé salarié d’une maison industrielle quelconque. Car je conçois d’autres rapports entre un patron et son employé que ceux qui existent entre un maître et son élève. J’ai tenu surtout à me rapprocher de Paris où j’ai de la famille, ce qui, je trouve, est très favorable aux étudiants, tant à ceux qui veulent travailler, et je me place dans ceux-là, qu’à ceux qui veulent se laisser vivre agréablement.
Je me permettrai maintenant d’aborder une autre question plus délicate mais qui n’en n’est pas moins importante. Vous ne m’en avez pas parlé, c’est que cette question vous paraissait trop claire et trop évidente pour être l’effet d’une solution.
J’ai été élevé chrétiennement ; aussi, pratiquant mes devoirs religieux, j’espère entrant chez vous pouvoir les remplir aussi fidèlement que je les ai remplis jusqu’ici.
Je vais terminer cette lettre déjà longue dont vous excuserez le style à la fois décousu et filandreux, n’en attribuant la cause qu’à une clientèle aussi exigeante que nombreuse.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus sympathiques en même temps que les plus respectueux »
Louis Jouvet