Quand les pharmaciens se font berner
Arnaques en série à l’officine
Comme de nombreux chefs d’entreprises, les pharmaciens reçoivent des sollicitations commerciales en tout genre. Un jour, on leur propose de figurer dans un annuaire professionnel, un autre, de leur livrer des produits manquants chez leur fournisseur habituel, un autre encore, de les équiper de matériels sophistiqués. La plupart du temps, les offres sont sérieuses. Mais personne n’est à l’abri d’arnaques, ou pour le moins, de se faire abuser. Avant de signer tout contrat, la réflexion s’impose
ARNAQUE, escroquerie, abus de confiance… L’officine, comme les autres entreprises, peut être la cible de filous en tout genre. De célèbres affaires ont marqué la profession et incitent à faire toujours et encore attention. La dernière en date se déroule dans le sud de la France où des confrères se disent victimes d’une arnaque à la photocopieuse (voir ci-dessous). Mais ce n’est pas la première du genre. Rappelez-vous, au début des années 2000, la société Annuaire Pro proposait aux officinaux de figurer sur Internet. Sans les prévenir clairement que l’insertion n’était pas gratuite. Ni même qu’une fois signé, le contrat engageait la personne à payer, pour au moins deux années. Près de 60 000 professionnels ont été démarchés. Environ 6 000 ont cédé aux relances et aux menaces, et réglés les sommes exigées, dont le montant total représente tout de même 5 millions d’euros, directement empochés par Annuaire Pro. Mais les autres ont décidé de ne pas se laisser faire et d’attaquer la société. Une bonne idée car la justice leur a donné raison. En 2005, le gérant de la société Annuaire Pro a été condamné par le tribunal correctionnel de Colmar à 9 mois de prison avec sursis et 35 000 euros d’amende pour « publicité de nature à induire en erreur ».
Plus récemment, en 2012, cinq titulaires vosgiens se font abuser par des « soi-disant » fabricants d’éthylotests. La gendarmerie nationale d’Épinal estime, à l’époque, que les préjudices subis par les officines vont de 1 000 à plus de 9 000 euros. Tandis qu’une nouvelle réglementation sur la présence obligatoire d’éthylotests dans l’habitacle des voitures devait entrer en vigueur, les officinaux décidaient de se préparer à cette nouvelle demande. Ils commandaient alors auprès de sociétés qui se sont révélées fictives. Mais les officinaux se réveillaient avec la gueule de bois, leurs chèques ayant été encaissés, les sociétés envolées et les éthylotests jamais livrés.
Plus difficile à déceler, voire carrément impossible, le piratage de son portail Internet. Dès l’autorisation du commerce en ligne de médicaments, en juillet 2013, des hackers localisés en Russie, au Canada, au Mexique, en Espagne, ou même en France, sont partis à l’assaut des sites de pharmacies françaises. En quelques semaines, des centaines de sites illégaux ont été détectés sur la Toile, malgré les verrous prévus par les autorités sanitaires. Les techniques des pirates du Web pour pénétrer dans les sites et en prendre le contrôle sont invisibles pour les titulaires. Certains procèdent en s’appropriant tout simplement des noms de domaines d’officines tombés dans le domaine public. D’autres, plus rares, placent un petit logiciel sur la page d’accueil qui redirige automatiquement les internautes vers un site illégal.
On le voit, en matière d’arnaques, les escrocs ne sont pas avares d’imagination.
Comment éviter les pièges
Même alerté, il n’est pas toujours facile d’éviter les pièges tendus par les escrocs de tout poil. Mais quelques petits trucs permettent de ne pas se faire abuser. Ainsi, d’une manière générale, les autorités appellent à rester vigilant vis-à-vis des sociétés faisant parvenir des offres par fax ou par mail.
En ce qui concerne le piratage du site de l’officine, l’Ordre des pharmaciens préconise de s’assurer que la société qui gère le portail réalise des mises à jour régulières de l’application utilisée pour la création. Mais aussi de vérifier régulièrement que le nom de son site n’est pas tombé dans le domaine public.
La DGCCRF* invite, elle, à se méfier des propositions d’insertion dans les annuaires professionnels. Parfois, explique-t-elle, « la présentation ambiguë des sollicitations peut laisser croire qu’il s’agit d’une simple vérification d’adresse pour un annuaire où vous pensez déjà figurer puisque l’expéditeur possède vos principales données d’identification ». Le premier réflexe est d’identifier l’émetteur du document. S’il est domicilié à l’étranger, il faut redoubler de vigilance car, dans ce cas, la DGCCRF ne dispose pas des moyens juridiques lui permettant de lutter contre ces pratiques.
Très chères photocopieuses : des pharmaciens témoignent
LE SYSTÈME peut paraître compliqué. Une société de bureautique, Copy Management, présente des photocopieuses à la location à des chefs d’entreprises, en proposant un paiement mensuel bas et en offrant même plusieurs mois de location sous forme de remboursement. Le contrat vaut pour 60 mois mais prévoit un renouvellement au bout de 20 mois. Si le chef d’entreprise ne souhaite pas renouveler le contrat au bout de 20 mois, il se retrouve à payer au prix fort la location du matériel pour les 40 mois restants. Selon le témoignage d’un médecin généraliste des Bouches-du-Rhône, le prix fort pour lui était de 2 500 euros par trimestre, pour un photocopieur d’une valeur moyenne de 5 000 euros !
Nombre de professionnels de santé de la région PACA témoignent aujourd’hui, non seulement pour obtenir justice, mais aussi pour alerter sur ces pratiques douteuses et prévenir leurs confrères. Ils ne sont pas seuls. L’émission « Envoyé Spécial » du 8 mai dernier évoque cette pratique de « cascading » dans une affaire de leasing pour un… photocopieur. La société montrée du doigt n’est pas la même mais la pratique est semblable. Un commercial témoigne d’ailleurs : « Il y a des boîtes qui ont coulé à cause de ces pratiques ». Car, comme le souligne une avocate spécialisée dans ce type d’affaires, les contrats de leasing ou de location « sont très difficiles à rompre ».
Dominique Bettoni, titulaire à Cuers (Var), regrette amèrement d’avoir signé son premier bon de commande. Néanmoins, il se rend compte qu’il n’est pas le plus mal loti. À ce jour, s’il a réussi à mettre fin aux contrats qui le liaient à la société de location du photocopieur, il reste encore redevable de 30 000 euros… « Un opticien de Hyères doit la même somme que moi, une vétérinaire se retrouve avec une dette de 50 000 euros, une autre pharmacie en a pour 100 000 euros, une agence immobilière pour 500 000 euros… J’ai même été contacté par un vigneron qui pourrait bien déposer le bilan à cause de cette affaire. Tous se trouvent en région PACA », indique le pharmacien. Pour lui, tout commence en 2010. Un représentant de la société Copy Management le démarche et lui fait miroiter une photocopieuse à 45 euros par mois, pour 20 trimestres, tout en lui précisant qu’un accord avec le fabricant de la machine lui permet de ne pas débourser un centime la première année. Et c’est effectivement le cas. Au-delà des 12 premiers mois, Dominique Bettoni doit payer. Jusque-là, rien d’anormal. « Tous les 20 mois, il faut signer un nouveau contrat. Je ne me suis pas inquiété, j’ai donc renouvelé mon contrat en 2012, qui effaçait une partie du solde du 1er contrat. Mais surtout qui majore considérablement le montant des mensualités, ce qui se traduit par une surcharge de 30 000 ou 40 000 euros. C’est un système pyramidal à la Madoff, on n’en sort jamais ! »
Spirale infernale.
En janvier 2014, le commercial est revenu pour faire signer un 3e contrat à Dominique Bettoni. À cette occasion, et parce que la société de leasing a changé, le titulaire découvre le pot aux roses et parvient à se désengager. Mais il doit maintenant s’acquitter des 30 000 euros restant à payer de son 2e contrat. « J’avais cessé les mensualités, mais mon avocat m’a assuré que je n’avais pas le choix. En revanche, nous allons attaquer et il est prêt à aller au pénal. Il a déjà une dizaine de dossiers comme le mien mais il constate que chaque contrat a ses particularités. »
Au moins deux autres pharmaciens du Var sont concernés par ces pratiques douteuses. Le premier pensait, comme Dominique Bettoni, que le 2e contrat soldait l’intégralité des sommes dues avec le premier contrat, mais ce n’est pas le cas. « Ce sont des manipulateurs, des truands. Ils vous embrouillent en parlant en mois, puis en trimestres, en montant TTC, mais ils ajoutent ou retirent la TVA quand cela les arrange. Ils sont toujours pressés, nous aussi car on a du monde au comptoir, et on se fait avoir », explique cette pharmacienne qui tient à conserver l’anonymat et a commencé les démarches pour une action en justice. Un autre confrère indique que, pour le moment, tout se passe correctement pour la location de son photocopieur. Il n’a jamais rien signé sans le faire valider par son expert-comptable et chaque nouveau contrat a intégralement soldé les dettes du précédent. Cependant, il note que le prix de la location ne cesse d’augmenter et, vu les sommes engagées, il n’a d’autre choix que de signer un nouveau contrat tous les 21 mois pour solder le précédent. C’est ce que Jonathan Karydes*, masseur-kinésithérapeute, appelle une « spirale infernale : plus vous renouvelez, plus vous vous endettez ». Une spirale qui n’a pas fini de faire des victimes. Mais celles-ci ne se laisseront pas faire. Une « Association de défense des victimes de pratiques commerciales abusives de la part de Copy Management » est en train de voir le jour.