Avant de commencer l’interview, je tiens à rappeler notre relation très ancienne, professionnelle mais avec, je crois, une estime fort réciproque qui n’empêche quelques « prises de bec » tout à fait confraternelles entre nous sur des sujets sensibles comme l’économie de l’officine ou la déontologie.
Nous nous sommes connus avant ta sortie de fac au milieu des années 80 ou tu avais déjà l’esprit militant. Ce militantisme professionnel est toujours présent dans ta fonction de Président Régional de notre Ordre ce qui, pour un vieux syndicaliste comme moi, est la preuve de ton engagement pour la profession.
Tu me connais bien et je poserai que les questions qui fâchent.
Philippe LANCE: Pourquoi une cotisation ordinale qui progresse autant et comment expliquez l’impression d’un train de vie ordinal et parisien aussi princier (ou princière)?
Stéphane PICHON: nous, officinaux, sommes la forte majorité des cotisants de l’ordre, cependant , une grande partie de nos cotisations alimentent le budget national et n’est pas directement reversé à la section A. Nous savons tous que notre profession subit diverses vagues d’attaques particulièrement au niveau de l’Europe, et le CNOP (conseil national de l’ordre des pharmaciens) a du engagé de nombreuses procédures et de nombreux frais d’avocats pour résister à toutes ces secousses, ceci entrainant une majoration des frais de fonctionnement , de plus le DP a nécessité des investissements pour son amélioration et toutes les nouvelles fonctions qu’il permet, alerte sanitaires, retrait de lot …
Pour information, la partie propre à notre section A , après le vote du CCA n’a pas augmenté , seule la partie des services communs a augmenté.
P.L: Certains confrères me disent que les quelques ripoux de la profession ne sont jamais sanctionnés, pourquoi ne pas le faire savoir puisque, je le sais, les sanctions tombent?
S.P: Avant toute chose, notre système « disciplinaire » est complètement calqué sur notre système judiciaire français et particulièrement sur la justice administrative . Nous ne pouvons donc pas sanctionner , des « rumeurs » mais uniquement des faits établis , et des plaintes formulées, ce qui est parfois très difficile à obtenir, nos confrères sont parfois vindicatifs mais très frileux lorsque il s’agit de passer des paroles aux actes concernant les dépôts de plainte
Mais je peux vous assurer que nos chambres de disciplines sont sévères mais qu’il existe l’appel et la cassation dans des chambres qui ne sont pas uniquement composées d’officinaux mais de toutes les sections de la profession , donc n’ayant pas toujours la même sensibilité.
Cependant il est vrai que notre communication sur les sanctions est « soft » car la vindicte populaire peut parfois nous desservir si certains de nos détracteurs revotaient les condamnations ; toutes les décisions sont publiques et affichées au CROP.
P.L: La Déontologie est souvent mise à mal par des confrères qui semblent n’avoir pas appris qu’il existait un code de déontologie. Les sanctions semblent faibles sur ce point, que peux-tu nous dire sur son évolution future autant dans sa transformation que dans sa compréhension par les futures générations de pharmaciens?
S.P: La déontologie, c’est ce qui évite d’être un charlatan, cette déontologie est le fruit de nombreuses années de réflexion et de correction des dérives humaines des professionnels, elle n’est pas une contrainte mais un atout, aujourd’hui elle permettrait d’être reconnu fortement si nous y adhérions fortement car elle éviterait les « prise d’otages » des patients …
Cette déontologie est l’honneur d’un métier, elle permet de refuser un médicament non adapté , elle permet de respecter la personne humaine sans arnaque , c’est vrai qu’elle est parfois lourde à porter, mais c’est aussi la clef du maintien de notre existence en tant qu’hommes et femmes du médicament dans la structure actuelle de notre réseau pharmaceutique , être déontologique, c’est pas être « has been » , regardez comme on critique les politiques véreux, ils ont le pouvoir sans déontologie et le peuple les rejette , extrapolez à notre profession …
P.L: Un débat qui existe depuis la création du métier d’apothicaire: crois-tu que Profession de Santé et commerçant sont compatibles pour notre avenir?
S.P : Lors d’une session HEC Executive s’est posée la question. Le challenge n’est pas d’être un bon commerçant … c’est assez facile… le challenge est d’être performant économiquement tout en restant éthique , voir les réponses au-dessus, nous pouvons être performants économiquement et ethniquement , mais la performance économique seule … c’est un autre métier pa protégé par un monopole , c’est autre chose que le petit teigneux caché derrière des colosses qui agresse en sachant qu’il est protégé . Mais aujourd’hui il faut résister car tout est fait pour nous mettre en difficulté justement , pour faire rompre cet équilibre , et dire « voyez ils ne sont pas éthiques, laissez-nous faire au moins cela sera économique ».
P.L: Je connais ton « combat » pour faire respecter la loi sur le port du badge obligatoire, explique nous en quoi cela est si important.
S.P: Cela peut sembler ridicule aux yeux de beaucoup, mais remettons nous dans un autre contexte, par exemple à l’hôpital, si une personne rentre dans votre chambre et s’occupe de vous parfois intimement est-ce le patron, l’assistant, l’interne, le brancardier, la flemme de ménage ???
voilà ce que peut ressentir une personne qui entre en pharmacie et s’adresse à des personnes non identifiées, de plus pour nous , nos patients ne réagissent pas pareil et ne demandent pas la même chose , s’ils s’adressent à un apprenti, un étudiant, un préparateur ou un pharmacien.
cette demande d’identification ressort toujours dans les enquêtes de satisfaction patient, alors …. et puis l’état a besoin d’argent si un jour il réalise que c’est 3700 euros par non port du badge!!! ceci mis à part, c’est important de savoir à qui on s’adresse et cela hiérarchise les taches aussi
P.L: Merci d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions et je te laisse le mot de la fin.
S.P : :Aujourd’hui l’économie de l’officine se porte mal, les problèmes de trésorerie sont extrêmes, ceci pourrait amener les confrères à déraper, mais c’est pire car les conséquences d’une dérive sont parfois l’interdiction d’exercer voire , la fermeture de l’officine la solution est pire que le mal et là commence la spirale infernale de la descente , alors vent debout tenons-nous droits , laissons passer nos tempêtes et n’oublions pas que depuis 1766 nous nous sommes réformés et avons évolué en permanence. Personnellement, je crois beaucoup en notre métier, en la valeur humaine des femmes et hommes pharmaciens qui sont les maillons d’une longue chaine pour le bien être de notre société qui souffre.
Ne baissons pas les bras soyons performants et nous passerons encore les étapes.