Le Sarouck (fusée en arabe) est « in » chez les toxicomanes algériens: la Prégabaline (Lyrica®)

 


Algérie Août 2017

Prescrit comme antiépileptique et anxiolytique, l’utilisation de Lyrica a été détournée à des fins récréatives. On ne doit pas banaliser les choses car on parle, là, de drogues qui rendent nos enfants toxicomanes. A long terme, Lyrica a les mêmes effets que la cocaïne ou tout autre drogue dure, à savoir une dépendance qui tue à petit feu…

«Tadi Taxi oula Saroukh?» (tu vas prendre un Taxi ou une fusée). C’est devenu une phrase que répètent les jeunes, certains pour plaisanter alors que d’autres c’est pour planer!

En effet, cette phrase, qu’il ne faut pas prendre au premier degré, est une invitation à un voyage mais…pas comme les autres! En fait, le «Taxi» et «Saroukh» sont les noms donnés à la nouvelle drogue qui empoisonne à petit feu nos jeunes, à savoir la prégabaline (molécule mère, ndlr), connu sous le nom commercial de Lyrica.

«Taxi et Saroukh sont des génériques de Lyrica, un puissant antalgique et un fort anxiolytique», explique Fayçal, médecin exerçant dans un établissement public de la capitale. «Il est prescrit comme antiépileptique et anxiolytique.
Supposé aider le patient à lutter contre les symptômes d’une épilepsie partielle, les troubles anxieux et des douleurs liées à un dysfonctionnement du système nerveux, son utilisation a été détournée pour un usage récréatif», atteste-t-il «Les noms que leur ont donné les consommateurs sont tirés de leurs couleurs.
Lyrica, c’est l’original. Elle est complètement blanche.

‘Saroukh », c’est un comprimé blanc et rouge comme une fusée.

Et le «Taxi», c’est blanc et jaune…», poursuit ce médecin avant de tirer la sonnette d’alarme sur cette drogue qui menace la santé morale et physique de nos enfants.

«C’est d’abord un médicament, il est très facile de s’en procurer. Surtout qu’il n’est pas classé avec les opiacés, sa vente n’est de ce fait pas aussi stricte que celle des autres médicaments qui sont détournés comme drogue», rapporte-t-il avec inquiétude. «Le pire dans tout cela est que ces jeunes pensent que la consommation de Lyrica est sans danger, et que son accoutumance est des plus rares.

Un danger qui menace toutes les couches de la société
Or, c’est un médicament et comme tout médicament il a des effets secondaires néfastes pour la santé, surtout s’il est consommé sans ordonnance et de façon irrégulière», met-il en garde.

«L’abus de prégabaline peut aboutir à une accoutumance qui se traduit par une résistance accrue et ainsi une augmentation nécessaire des doses», rétorque-t-il.

Selon une étude faite par la revue scientifique mondiale Prescrire, une consommation du Lyrica en trop grande quantité, offrirait un effet euphorisant à son consommateur, proche de celui que peuvent leur procurer les amphétamines.

«L’arrêt de ces médicaments semble difficile car parfois accompagné de syndrome de sevrage. Dans certains cas, une hospitalisation est même nécessaire», ajoute le magazine. Le docteur Fayçal tient à mettre en avant le fait que la consommation de Lyrica comme drogue prend de plus en plus d’ampleur et pas seulement chez les toxicomanes.

«Jeunes lycéens, étudiants et même cadres se sont mis à Lyrica qu’ils consomment comme des friandises», dénonce-t-il. Ce que confirme, Salah, un dealer de la capitale. «Andi les clients men koul Nowaa (j’ai des clients de tout genre). Ztayliya, les zétidiants et même kmakam (des drogués, des étudiants et même des hauts ca-dres)», avoue-t-il en affirmant que les effets étaient presque les mêmes pour les trois. «Lyrica hiya bessah l’amliha gaâ, tatlaâe bihe fihe ou mlihe» (Lycria est la meilleure, ces effets sont plus rapides et meilleurs). Pour ce qui est du prix, Salah, indique que ça dépend du dosage mais aussi de la région, si elle est demandée ou non. «Les dosages existants sont les 50, 75, 150, 300 (tout en milligrammes)», fait savoir Fayçal, le médecin.

Néanmoins, selon le spécialiste qu’est Salah le dealer, les seules qui se trouvent sur le marché sont la 150 et la 300. Il confirme que la 300 est la plus demandée mais «le dosage idéal dépend de l’usage que le consommateur veut en faire et à quelle intensité il veut que les effets apparaissent».

Pour les prix, «la 150 mg est entre 200 à 250 DA coûte le comprimé. La 300 mg coûte entre 400 et 500 DA», rapporte-t-il en avouant que Lyrica lui rapportait presque mieux que le «shit».

En pharmacie, la boîte de 150mg est à partir de 3750 DA et la 300mg à partir de 6700 DA, tout dépend de la marque. La boîte contient généralement entre 60 et 64 comprimés.

Un petit calcul d’épicier montre que le comprimé de 150mg revient à moins de 60 DA, ce qui fait entre 150 et 200 DA de bénéfice sur chaque comprimé de 150 mg.

Alors que le comprimé de 300 mg revient en pharmacie à 105 DA ce qui fait entre 300 et 400 DA de «bénéf» sur chaque comprimé! Quand on sait que chaque client en prend au minimum deux pour maximiser les effets, on vous laisse faire le calcul…
On comprend donc pourquoi beaucoup se sont improvisés «pharmacien ambulant».

Certains dealers ne se sont d’ailleurs spécialisés que dans la vente de Lyrica. «J’ai arrêté le cannabis qui rapporte moins et qui est plus difficile à cacher», avoue Imad, dealers dans la commune de Dergana. «Je vends aussi El Halwa (nom donné à l’Ecstasy par les consommateurs pour sa ressemblance à un bonbon, ndlr) mais c’est sur commande du fait que sa consommation est occasionnelle contrairement à Lyrica qui peut-être consommé tous les jours», explique-t-il en assurant même qu’ils vont jusqu’à se faire rembourser par la sécurité sociale la came qu’ils vendent…

C’est le cas d’un réseau démantelé, il y a quelques mois à Blida par la BRI. Composé de six femmes et de quatre hommes, ils acquéraient ce médicament chez les pharmaciens grâce à des ordonnances qu’ils pouvaient obtenir au niveau des hôpitaux et autres polycliniques de plusieurs wilayas du pays, et ce en donnant les noms de personnes âgées. Le fameux médicament était acquis gratuitement par le biais des cartes Chifa de ces mêmes personnes âgées! Il faut dire que Lyrica est devenue la nouvelle «friandise» des jeunes du fait qu’elle les fait planer. «Je l’utilise de manière récréative, généralement à des doses de 500-600 mg.

Ça met deux bonnes heures à monter. Tu n’y fais plus attention, puis un moment tu te lèves de ton canapé et tu te dis «woahhhh!»», rapporte Adléne, responsable dans une multinationale, qui se dit consommateur régulier.
Ça le fait booster et ça l’aide dans son travail, dit-il en soulignant apprécier fortement la sensation que cela lui apporte. «Le résultat est assez singulier: une démarche improbable comme sous DXM, une anxiolyse complète, une sensation d’ébriété/euphorie, une tendance à la logorrhée aussi. Moi qui suis très timide, je deviens d’un seul coup très bavard», raconte-t-il avec des yeux qui brillent, ce qui témoigne on ne peut mieux de l’amour qu’il porte à cette drogue…
Lyrica a un tel succès chez les jeunes que les chanteurs de raï en ont fait l’un de leurs «produits» phare. Le «Saroukh» semble beaucoup les inspirer. On cite la chanson d’un cheb appelé Djalil qui porte le nom très évocateur de «Takol Saroukh» (Il mange la fusée). Dans les paroles très «recherchées» de cette chanson il parle de sa petite amie qui consomme de la Lyrica et qui vient chez lui dans un état des plus euphoriques…

Il a été très loin pour chercher cette chanson, tout comme cheb Fayçal El mignon qui chante lui «Saroukh bda yekhdem fiha» (la Fusée fait son effet sur elle). Lui aussi parle d’amour et de cette fille amoureuse de lui qui a pris de la Lyrica pour être à sa hauteur…!

Même les «chanteuses» n’ont pas échappé à cette nouvelle mode. Cheba Houda Cristal chante elle «Saroukh, nessah fiya» (La Fusée qui lui fait oublier l’amour qu’il me porte). Elle parle de son petit copain devenu accro à Lyrica au point où il l’a quittée et qu’elle aussi s’est mise à prendre de la Lyrica pour l’oublier…

On ne doit pas banaliser les choses car on parle, là, de drogues qui rendent nos enfants toxicomanes. A long terme, Lyrica a les mêmes effets que la cocaïne ou tout autre drogue dure, à savoir une dépendance qui tue à petit feu…

En France, l’été dernier l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) a alerté les professionnels de la santé sur les dangers du détournement de cette drogue. L’Ansm avait invité les professionnels de la santé à repérer les comportements qui peuvent montrer une addiction à la prégabaline.

Des précautions d’autant plus importantes à prendre chez les sujets qui présentent des antécédents d’addiction. Parmi ces comportements «le développement d’une tolérance, l’augmentation des doses et un comportement de recherche du médicament».

Chose inquiétante chez nous (NDLR: Algérie), il semblerait qu’en plus de la consommer certains la chantent…

source L’expression d’Alger


 

 

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