Ce botaniste était un évadé de la pharmacie, lequel conquit le titre d’interne des hôpitaux de Paris, dans la même promotion qu’Adolphe Chatin, futur président de l’Académie des Sciences, et Georges Ville, qui devint professeur au Muséum.
Il s’appelait Auguste-Adolphe-Lucien Trécul, et naquit à Mondoubleau (Loir-et-Cher), le 8 janvier 1818. D’ailleurs, il ne tint jamais d’officine et conserva toute sa vie son humble chambre d’étudiant, dans un modeste hôtel de la rue Guy-de-la-Brosse, occupé seulement de recherches botaniques et spécialement d’anatomie végétale.
S’il quitta un moment cet asile, ce fut pour se rendre, en 1848, aux Etats-Unis, chargé d’une mission scientifique.
Une épiphytie grave menaçait, depuis 1842, d’anéantir nos cultures de pommes de terre, et il s’agissait de trouver des succédanés possibles dans les plantes à tubercules alimentaires du Nouveau Continent.
Notre homme séjourna longuement, et non sans périls, au milieu des tribus sauvages américaines, explora les Montagnes Rocheuses, expédia à son correspondant, Adrien de Jussieu, du Muséum, des collections qui sombrèrent avec le vaisseau Les Deux Frères et, à l’annonce de ce malheur, renouvela ses envois. Il visita également le Texas, le Mexique, et après avoir bravé les rigueurs hivernales de la Louisiane, regagna l’Europe.
A son retour, il se rendit au ministère, rapportant, sur les 10.000 francs alloués pour son expédition, une somme de 2.505 francs. Cette restitution intempestive souleva les objections du fonctionnaire compétent, dont elle troublait la comptabilité. Trécul se fâcha tout rouge, protesta qu’il était assez honnête homme pour restituer des sommes inemployées (NDLR: encore plus étonnant à notre époque), lança l’argent à la tête du bureaucrate ahuri et sortit en claquant la porte.
Trécul n’avait pas pour ennemis que les ronds-de-cuir ministériels : il se croyait poursuivi par les Jésuites et par certaines gens du Muséum ! Confiné plus que jamais dans sa chambre, toujours rivé à l’oculaire de son microscope, il cachait à ses rares visiteurs, espions possibles, le contenu de ses bocaux. Cependant, il fut élu à l’Académie des Sciences, dans la section de botanique, en remplacement de Montagne, le 26 mars 1866.
Il continua ses travaux pendant le siège de Paris et quand survint la Commune, ne douta point que le pouvoir insurrectionnel ne lui fût particulièrement hostile. Il en devint tout à fait sûr le jour où des fédérés vinrent l’arrêter. Un beau soir, il s’évada, et précisément le jour où les Versaillais entraient dans Paris. Pris pour un insurgé, il manqua d’être fusillé par les soldats de l’ordre comme il avait failli l’être par les émeutiers. A grand peine, il se fit reconnaître, regagna sa rue de la Brosse et se remit à la micrographie.
Mais il n’était point encore à l’abri des importuns ! Certain après-midi, on gratte à sa porte : c’est le président du conseil, M. de Freycinet, qui vient en personne, escorté de quelques membres de l’Institut, lui apporter la croix de la Légion d’honneur ! Mais Trécul se méfiait des politiciens autant que des Jésuites et des communards. Il ne jugea point à propos de dévoiler au ministre le mystère de ses préparations, sortit sur le palier, ferma l’huis, descendit le méchant escalier et fut décoré… dans le salon de son hôtel garni !
Devenu vieux et malade, il dut pourtant lâcher son microscope et émigrer à la Maison Dubois où il mourut, dans un lit d’hôpital, le 15 octobre 1896.
source Dr Paul Delaunay, d’après M. Gille, in : Revue pratique de biologie appliquée de Hallion, 30* année, n° 4, avril 1937, pp. 103-108.