2011 : Arnaud Montebourg écrit dans son essai Votez pour la démondialisation. “L’erreur fatale, c’est qu’à la place des Etats souverains, on a installé des entreprises capables d’être plus fortes qu’eux, de les faire chanter, et d’obtenir ce qu’elles veulent pour elles-mêmes et ceux qui les possèdent, au détriment des peuples”.
2014 : Vendredi 25 juillet, le Ministre de l’économie et du redressement productif, Arnaud Montebourg me fait l’honneur de me recevoir. A ma grande stupéfaction, au lieu de me parler modernité, économies, santé publique et intérêt national, il m’explique que la pharmacie d’officine est trop veille et malade pour avoir un avenir. Qu’elle est incontestablement enfermée dans un modèle capitalistique du siècle passé, avec ses entreprises personnelles, au capital fermé et étroit avec une prééminence de l’autofinancement.
Ses trois solutions ? Il se fait l’avocat des mastodontes de la grande distribution et des géants de l’investissement international : mettre un pharmacien dans la grande distribution, ouvrir le capital des officines à ces acteurs et aux fonds internationaux afin qu’ils créent des chaînes de pharmacies enfin, ouvrir les plateformes de commerce électronique de vente de médicaments à ces mêmes géants.
Que de changements en 3 ans…
Le ministre ne s’apprête rien moins qu’à livrer l’exercice libéral de proximité des pharmacies d’officine, qui s’est doté des outils les plus modernes pour répondre aux besoins de la population, à quelques acteurs.
Les cinq ou six géants de la maxi distribution et les fonds d’investissement ont une loi : celle du marché. Une finalité: le profit. Une stratégie: vendre toujours plus.
Proche de la population, la pharmacie d’officine est au coeur de l’humain. C’est un irremplaçable lieu de rencontre avec tous les milieux sociaux, tous les âges, toutes les cultures, toutes les fragilités humaines, heureuses ou pathologiques, de la mère avec son nouveau-né au malade chronique du diabète ou du sida. Il suffit de passer la porte des pharmacies à leur croix verte si reconnaissable, pour que les pharmaciens et leurs collaborateurs assurent écoute, accueil, et réponse aux urgences des accidents de la vie.
Ce réseau, tissé et modernisé au fil des ans, apprécié par la population française(>>>)fait partie du maillage de santé des Français, celui des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, infirmiers, et autres professionnels de santé proches les uns des autres, proches des patients qui sont leurs voisins.
Qui est dupe ? Qui pourrait croire que des chaînes pharmaceutiques s’intéresseraient aux lieux les moins rentables ? Qui pourrait faire pleinement confiance à un pharmacien d’officine placé en situation de ne pouvoir s’opposer aux priorités capitalistiques dont la logique exclusive est de donner un retour sur investissement ?
Transformer ces intentions en décisions serait stupéfiant de naïveté et d’irresponsabilité. Ce serait l’erreur fatale dénoncée en 2011.
La Cour de Justice de l’Union Européenne, elle, a tranché en soulignant que les pharmaciens se trouvaient associés « à une politique générale de santé publique, largement incompatible avec une logique purement commerciale, propre aux sociétés de capitaux, directement orientée vers la rentabilité et le profit. Le caractère spécifique de la mission confiée au pharmacien impose donc de reconnaître et de garantir au professionnel l’indépendance nécessaire à la nature de sa fonction » (CJUE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes aff. C-171/07,conclusions point 52).
Persévérer dans ce sens, ce serait aussi aller à l’encontre du Ministre des affaires sociales et de la santé, Madame Marisol Touraine, qui engage des réformes courageuses et énergiques pour mettre en oeuvre modernité et économies dans le respect prioritaire des consommateurs, qui sont aussi des patients et des citoyens. Pour les pharmaciens d’officine, concilier sécurité du patient et accès au progrès thérapeutique, sont des objectifs concrets. Entrés à pieds joints dans le 21ème siècle, ils sont inscrits dans une dynamique d’efficience en faveur de la santé publique. Se moderniser et s’adapter toujours mieux ? C’est ce que j’ai dit très clairement à Monsieur Montebourg. L’Ordre que je préside est le premier à le dire et surtout à le faire.
Les pharmaciens ont seulement besoin d’une vision d’avenir qui ne se trompe pas de priorité. Madame la Ministre de la Santé exprime sans relâche sa volonté de diminuer la consommation de médicaments et de veiller à leur bon usage. En concertation avec elle depuis des mois, et avec tout leur savoir-faire, les pharmaciens s’engagent activement à ses côtés sur ces objectifs.
Monsieur Montebourg disait en 2011 (www.atlantico.fr Montebourg : Démondialisation, demandez le mode d’emploi ! 5 avril 2011): « Il est urgent de mettre de la politique dans l’économie, avant que celle-ci n’achève de nous dissoudre ou de nous détruire comme un peuple ayant choisi de vivre selon ses lois propres et non selon celles imposées par d’autres. » On ne saurait mieux dire en effet.
Dans le combat pour les réformes et les économies, les pharmaciens sont vos alliés, acteurs indéfectibles de santé publique et acteurs d’économies de santé (génériques, dossier pharmaceutique, tiers payant…) au service des pouvoirs publics et du public.
Isabelle ADENOT, Président du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens