Prison avec sursis pour la pharmacienne qui vendait illégalement des masques à Issy-les-Moulineaux

source Le Parisien par Valérie MahautLe,  le 2 avril 2020 à 23h14

Au tribunal correctionnel de Nanterre, la vente de masques sous le manteau, ça ne passe pas du tout. A fortiori quand c’est une pharmacienne, qui s’enrichit de ce commerce, alors que le personnel soignant affrontant le Covid-19 manque encore des précieux équipements protecteurs.

Ce jeudi, une pharmacienne d’Issy-les-Moulineaux, arrêtée mercredi pour avoir vendu des milliers de ces masques malgré leur réquisition ordonnée par décrets*, a été jugée en comparution immédiate. Et condamnée pour la vente de près de 6 700 masques, en deux semaines, à quatre mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende, soit exactement ce qu’avait requis la procureure.

Il faut dire que cette pharmacienne de 60 ans ne s’est pas révélée très convaincante à l’audience, pas plus qu’elle ne l’avait été devant les enquêteurs. « Je ne savais pas, s’est défendue cette petite femme brune, perdue dans le grand box des prévenus. Je vendais sur ordonnance. Pour moi, ce n’est pas illégal. »

« Enfin, Madame, n’est-il pas étonnant qu’une pharmacienne ignore que c’est illégal, que les masques sont réquisitionnés par décret ? », la bouscule le président du tribunal, Julien Betolaud. Pas de réponse.

La question de la prescription des ordonnances

Comme tous ses confrères, la praticienne a reçu des alertes de l’ordre des pharmaciens sur la réquisition. Mais il faut comprendre, se justifie-t-elle.

« Je suis crevée, je travaille de 8 heures à 21 heures, c’est mon mari qui lit les mails. » Quant à sa collaboratrice, qui aurait dû l’informer selon ses dires, « elle m’a dit qu’on pouvait les vendre sur ordonnance ».

Ce qui pose une question, soulevée par l’avocat de la pharmacienne, Me Yoni Marciano : « Et les médecins, ils ne sont pas inquiétés ? Pourquoi prescrivent-ils ? », a-t-il interrogé dans sa plaidoirie.

Pour la pharmacienne, les ennuis ont commencé quand la police a été informée, par un anonyme, du commerce illégal dans l’officine, le 16 mars dernier. La police lui a rendu visite, se bornant à rappeler la règle : pas de vente de masques car ces derniers sont réquisitionnés. Trois jours plus tard, les policiers sont revenus, la pharmacienne leur a assuré qu’elle ne vendait plus de masques.

6 700 masques vendus pour 36 000 euros

Mais mardi dernier, les policiers apprennent encore d’un informateur anonyme que les masques sont toujours vendus dans l’officine. Le lendemain, mercredi, les enquêteurs ont à nouveau rendu visite à la pharmacienne. Et là, ils ont saisi plus de 3 700 masques.

La praticienne a été placée en garde à vue et les enquêteurs ont épluché la comptabilité. Bilan : 4 821 masques FFP2 vendus depuis le 17 mars et 1 868 masques chirurgicaux. Pour un chiffre d’affaires total de 36 000 euros, soit 12 % de la recette de l’officine.

« C’est considérable, vous ne trouvez pas ? » reprend le président du tribunal. « Il y a des gens à qui je les donnais », murmure la prévenue.

Mais là encore, elle peine à convaincre. En février, elle vendait les masques FFP2 au prix de 2,90 euros. Dès la réquisition ordonnée le 3 mars, ils sont passés à 6,90 euros, pour un prix d’achat de 1,18 euro. « J’avais trouvé un bon fournisseur », avance la pharmacienne, les deux mains accrochées au micro du box.

« Vous avez voulu faire de l’argent sur la crise sanitaire »

« Vous êtes d’une parfaite mauvaise foi, la tacle la procureure, Soline Dupont. Vous avez voulu vous faire de l’argent sur cette crise sanitaire sans précédent, qui révèle le meilleur et le pire de l’humain. Vous, c’est l’égoïsme et le profit. »

La peine d’emprisonnement étant prononcée avec sursis, la pharmacienne est sortie libre du tribunal. Mais elle ne rouvrira pas son officine, dont la préfecture a prononcé la fermeture administrative jusqu’au 15 avril.

Une première dans le département des Hauts-de-Seine pour une pharmacie, alors que dix établissements ont fait l’objet d’une fermeture administrative depuis le confinement, en majorité pour avoir ouvert malgré l’interdiction. Cette condamnation d’une pharmacienne apparaît aussi comme une première en France.

Même si elle faisait appel, un ancien dirigeant de l’Ordre régional des pharmaciens d’Ile-de-France juge inéluctable qu’elle s’expose à des poursuites disciplinaires. « Il y va de l’honneur de la profession et de son code déontologique, juge-t-il. Mais on ne peut présager de la décision, qui est collective, au terme d’un débat contradictoire. »

* Selon le décret du 3 mars dernier, les masques chirurgicaux, comme les masques en bec de canard (FFP2) sont réquisitionnés par les autorités pour mise à disposition de la population la plus exposée au risque de contamination, professionnels de santé et aux patients. Les décrets suivants complètent les règles de distribution des masques.

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