En 1938, les Drs Max Bockmül et Gustav Elrhart, qui travaillaient sur ce projet, finirent par créer un opiacé synthétique et qui portait à l’époque le numéro de série « Hoescht 10820» et l’appellation de « Polamidon ». Les scientifiques de Hoescht firent quelques essais qui montrèrent que c’était bien un analgésique, plus puissant que la péthidine (L’ancien Dolosal® en France), avant d’en déposer le brevet le 25 septembre 1941, et ensuite de le tester sous secret militaire sous le nom de code « Amidon ».
Il semble que les essais cliniques n’aient pas été concluants, soit parce que les doses étaient inappropriées, soit parce que les effets secondaires furent jugés trop importants, soit parce que la proximité de la fin de la guerre empêcha tout développement. Quoi qu’il en fut, les recherches continuèrent et il n’y eu pas de production commerciale ni de marque déposée du produit « Hoescht 10820 » alors qu’en 1944 la production de péthidine atteignit 1600 kilos par an.
Après la guerre, toutes les marques et brevets allemands furent réquisitionnés par les alliés et la firme Hoescht tomba dans le secteur américain qui prit le contrôle de la production. La formule du n°10820 (Polamidon) et tous les produits de la frime furent distribués un peu partout dans le monde et commercialisés par de nombreuses sociétés pharmaceutiques. Cette diffusion eut pour conséquence d’arrêter toutes les recherches en cours ainsi que la production de péthidine après la guerre. D’ ailleurs celle-ci fut remplacée par une production de pénicilline.
Après 1945, les entreprises qui reçurent la formule gratuitement purent exploiter la molécule sous l’appellation commerciale de leur choix. Ainsi la compagnie pharmaceutique américaine Eli-Lilly créa la marque déposée Dolophine ®, non en souvenir d’Adolph (Hitler) comme la légende le dit mais plus probablement à la suite de l’association de deux termes français « douleur » et « fin ».
En 1947, des chercheurs commencèrent des expérimentations avec la Dolophine® (méthadone) sur des patients et des animaux. Ils donnèrent à des volontaires jusqu’à 200mg de méthadone 4 fois par jour et constatèrent que ces patients développaient rapidement tolérance et euphorie. Ils furent donc obligés de diminuer les doses d’autant plus que les effets secondaires étaient sévères (signes de toxicité, inflammation de la peau, profonde narcose), mais ils observèrent ainsi que les morphinomanes y répondaient très positivement.
Ils en conclurent, en toute logique médicale, que la méthadone avait un potentiel d’accoutumance et de toxicité très élevés et mirent les autorités en garde contre la production non contrôlée de la « méthadon », telle qu’on la nommait à l’époque.
De nombreuses recherches furent effectuées entre 1945 et 1950, et toutes reconnurent ses puissants effets analgésiques. Cependant leurs conclusions montrèrent toujours que la méthadone avait peu d’avantages sur d’autres préparations disponibles et beaucoup de désavantages : nausées, dépression respiratoire, potentiel de dépendance, etc. En conséquence, elle fut peu utilisée en médecine jusqu’en 1964, date à laquelle Vincent Dole et Marie Nyswander qui recherchaient un opiacé de synthèse efficace par voie orale dans le traitement des héroïnomanes, découvrirent la méthadone dans la littérature scientifique.
La méthadone devint ainsi rapidement un enjeu économique puis politique. Durant l’année 1964, les Etats-Unis en consommèrent plus d’une dizaine de tonnes et aujourd’hui, la méthadone est l’opiacé de synthèse le plus utilisé pour le traitement des personnes dépendantes à l’héroïne, aux Etats-Unis comme en Europe et dans beaucoup d’autres pays.
Extrait tiré du livre « Les drogues dans l’histoire: entre remède et poison: archéologie d’un savoir … Par Michel Rosenzweig