Le marégraphe de Marseille

Le marégraphe de Marseille appartient à l’État et il est géré par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). 

Il est à la fois un monument historique et un observatoire moderne du niveau de la mer ; c’est assez rare d’avoir ces deux qualités dans un même lieu.

Ce monument historique a été construit à la fin du 19ème siècle pour fixer l’origine des altitudes françaises continentales (l’altitude 0). Cette fixation a été réalisé au moyen d’un appareil dont il ne reste aujourd’hui qu’un seul exemplaire dans le monde.

De nos jours, le principal intérêt scientifique du marégraphe de Marseille est de participer au suivi, à la compréhension et à l’anticipation de l’un des très nombreux effets des changements climatiques dus à l’activité humaine : l’élévation de plus en plus rapide du niveau moyen des mers.

La visite du marégraphe

Le marégraphe n’est pour le moment pas très ouvert au public. Officiellement, les raisons sont juridiques.Le marégraphe n’est pas encore classé parmi les Établissements recevant du public (ERP). C’est pour cette raison juridique que l’IGN a pris la décision, en 2021 et 2022, de ne l’ouvrir au public QUE pour les Journées du patrimoine.

Les demandes de visites sont très nombreuses (10 000 visiteurs entre 2013 et 2022 ; 10 000 autres en “liste d’attente”). Comme nous ne pouvons pas « pousser les murs » pour pouvoir accueillir plus de monde en même temps, la seule solution est d’ouvrir PLUS SOUVENT. C’est l’un des nombreux objectifs de notre association et l’un de ses souhaits les plus chers. Le nombre de personnes intéressées par le marégraphe ne fait que renforcer notre détermination. Une convention a été signée dans ce sens avec l’IGN. Elle s’appliquera après le classement ERP.

De notre côté associatif, nous faisons tout pour pouvoir ouvrir le marégraphe plus largement au public, et le plus vite possible. Au mois de septembre dernier, nous avons formé 15 guides conférenciers parmi nos adhérents ; nous avons développé un site de réservation de places pour les futures visites, etc.

Nous espérons parvenir le plus rapidement possible à cette ouverture. Maintenant que nous avons vos coordonnées, et si vous voulez bien que nous les conservions, vous recevrez un avis chaque fois qu’une session de visites sera organisée (prochaines visites probablement en septembre).

L’association “Les amis du marégraphe de Marseille”Nous avons de nombreux moyens de faire découvrir ou mieux connaître les atouts historiques, scientifiques, culturels, environnementaux et sociétaux du marégraphe, par exemple :
– des conférences comme celle donnée au mois de mars 2022 à la station marine d’Endoume (replay accessible grâce à ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=Z85Y_KClyrQ).
– un site internet de plus en plus riche : https://amis-maregraphe-marseille.fr/.- un compte Instagram https://www.instagram.com/amis.maregraphe/?hl=fr et un compte Facebook https://www.facebook.com/Amis-du-mar%C3%A9graphe-de-Marseille-179773066953551 – un feuilleton destiné à faire connaître l’histoire du marégraphe : https://amis-maregraphe-marseille.fr/?page_id=3814
– nous avons mis en ligne sur notre site internet un outil de visite virtuelle du marégraphe, complémentaire des visites réelles que, vous l’avez compris, nous voulons continuer d’organiser https://amis-maregraphe-marseille.fr/?page_id=3809 ; nous travaillons à d’autres outils encore plus immersifs.- etc.

Nos projets pour 2023 concernent une exposition de photos et d’objets relatifs au marégraphe (du 5 au 30 septembre à la bibliothèque de l’Alcazar), la participation comme en 2022 à la “Fête de la science” et à l’opération “Science dans les classes”, etc. 

Un projet pluriannuel de bande dessinée est aussi “dans les tuyaux”. Vous souhaiteriez faire partie de l’aventure, alors rejoignez Les amis du marégraphe de Marseille !https://amis-maregraphe-marseille.fr/?page_id=3824

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Alain Coulomb

Président de l’association Les amis du marégraphe de Marseille / 06-73-58-72-29https://amis-maregraphe-marseille.frInstagram @amis.maregraphe

Pour consulter mon ouvrage sur le marégraphe de Marseille

https://www.presses-des-ponts.fr/notre-librairie/324-le-maregraphe-de-marseille.html

Le vice-président du syndicat général des pharmaciens des Bouches du Rhône à l’honneur!

Notre éminent confrère, le Dr Sébastien Gallice, officinal dans le 14ème arrdt de Marseille et vice-président du syndicat général des pharmaciens des Bouches du Rhône a fait l’objet d’un article sur les préparations magistrales dans le Pharmacien de France.

Voici l’article:

La grippe espagnole (1918-1919) dans les journaux français par Françoise Bouron

Avec plus de 20 millions de morts dans le monde, un milliard de malades, la pandémie de la grippe espagnole reste encore un mystère… On ne sait ni comment le virus est apparu ni pourquoi il a brutalement disparu. Néanmoins, son origine, asiatique et aviaire, est certaine.

La grippe espagnole déferle sur la France en trois vagues successives : une première vague qui s’étend d’avril à août 1918 ; une seconde vague, la plus meurtrière, qui va de septembre à novembre 1918 et enfin une troisième vague qui touche le pays en février-mars 1919.

Mais qu’en a-t-on dit dans les journaux ?

I. LA PREMIÈRE VAGUE DE GRIPPE SE RÉPAND APPAREMMENT SANS CONSÉQUENCE GRAVE (AVRIL-AOÛT 1918)

En France, les premiers cas de grippe sont signalés en avril 1918 à plusieurs endroits du territoire : à Villers-sur-Coudun dans l’Oise au sein de la IIIe armée, parmi les troupes américaines débarquées à Bordeaux-Bassens, à l’hôpital complémentaire de Fontainebleau, et au camp d’instruction automobile de Fère-Brianges dans la Marne. « Le 30 avril, 23 indigènes se présentant à la contre-visite se plaignent de symptômes morbides apparus brusquement dans les heures précédentes – fièvre de 38o à 40o, céphalées, courbatures ; congestion de la face des conjonctives et du pharynx (…). La convalescence est longue et les malades présentent de nouveaux symptômes : toux de plus en plus impérieuse, pneumonies. Persistance de râles de congestion. Seule ou à peu près dans les affections épidémiologiques, la grippe pourrait être prise en considération », conclut le médecin chargé du service médical du Centre d’instruction automobile dans son rapport du 12 mai 1918 . Le bilan de l’épidémie de Fère-Brianges, qui dure du 30 avril au 11 mai, est lourd. 30 % des Européens et 80 % des Indochinois sont malades. Il y a même eu deux morts chez les Indochinois.

Les médecins tentent de trouver des explications à cette importante morbidité : la saison restée tardivement fraîche et surtout le manque d’hygiène et l’encombrement du cantonnement.

Bien que le nombre de malades se multiplie dans tous les corps d’armée, les explications se veulent encore rassurantes. Car la mortalité est faible en ce mois de mai, ce qui fait écrire à un médecin de Saint-Eusoye (182e compagnie des travailleurs italiens) : « Cette petite manifestation morbide mérite à peine le nom de foyer… » 

Pourtant, les Services de santé de l’Armée vont être rapidement débordés. À la mi-mai, c’est l’ensemble des Armées qui est touché par la grippe. Le pourcentage des soldats grippés est variable mais très élevé : 10 %, 50 %, voire même 75 % des unités sont frappées.

Et pourtant, dans la presse nationale, les articles sur l’épidémie de grippe sont quasi inexistants jusqu’à la fin du mois de mai. Nous n’avons trouvé aucun article dans Le Petit Parisien, Le Matin et Le Journal, trois journaux à grand tirage. Et aucun article non plus dans Le Figaro, La Croix et L’Humanité.

Il faut dire que la France vit des moments décisifs pour l’issue de la guerre : le 21 mars, a débuté la première grande offensive allemande à l’ouest ; le 9 avril, l’armée allemande a lancé une seconde offensive contre l’armée britannique dans les Flandres ; et le 27 mai, les Allemands sont parvenus jusqu’à la Marne.

De plus, les Parisiens traversent des heures particulièrement pénibles. Depuis la fin du mois de janvier, ils sont la cible des gothas, les bombardiers allemands et, depuis mars, ils subissent les tirs de la Grosse Bertha, le « canon monstre » [3][3]Le 31 mars 1918, Le Journal titre à la Une « Le canon monstre….

On comprend alors que, dans ces conditions, la grippe espagnole ne soit pas le premier souci des Français… et des journalistes.

Fin mai 1918, des renseignements alarmants arrivent d’Espagne. Le 28 mai, Le Journal s’en fait l’écho, mais en bas de la page 3 seulement. L’article relate que l’Espagne est touchée par une épidémie grippale. Une épidémie qui toucherait 30 % de la province de Madrid. Une épidémie qui ralentirait la vie du pays : théâtres et salles de spectacle presque déserts, service des tramways restreint suite à l’indisposition d’une partie du personnel. Même le roi d’Espagne Alphonse XIII aurait contracté la maladie en assistant à un office à la chapelle du palais en présence d’une foule nombreuse. Mais, ajoute le journaliste, la grippe présente un « caractère bénin ». Le 29 mai, c’est au tour de La Croix de faire mention de l’épidémie de grippe qui sévit en Espagne ; le 1er juin, le quotidien catholique publie des chiffres : 120 000 malades pour la seule capitale espagnole.

Et toujours rien dans les journaux sur l’épidémie de grippe en France. Comme si le pays était miraculeusement épargné. Ou comme si la censure était passée par là. Mais la consultation des archives de la censure montre qu’il n’en est rien. D’avril à fin juin, un seul article a été censuré mi-juin sur la grippe espagnole : il évoquait l’épidémie de grippe qui touchait les Annamites. Ce silence est-il dû au fait que la grippe est une maladie qui ne fait pas peur, comme c’est le cas du choléra, du typhus ou encore de la peste. C’est fort possible.

Il est vrai aussi que pendant cette première phase, qui s’étend d’avril à fin juin 1918, la maladie, même si elle se caractérise par une diffusion très importante et une très forte contagiosité, connaît une évolution brève et bénigne, et est rarement mortelle.

En juillet 1918, beaucoup en France pensent même que l’épidémie est en voie d’extinction, car le nombre de cas de grippe a diminué comme en témoignent les rapports du Service de santé des Armées. Ainsi, on croit avoir échappé au pire…

En réalité, si la grippe semble en voie de décroissance, les malades présentent de plus en plus de complications pulmonaires graves et mortelles. En mai, un grippé sur huit seulement présente des complications. En août, c’est un sur deux … !

La presse se montre à présent un peu plus bavarde. Ainsi, en juillet-août, quelques articles sur la grippe sont publiés dans les journaux : un dans Le Journal, trois dans La Croix, sept dans Le Petit Parisien, mais aucun dans Le Figaro et dans L’Humanité.

Et toujours, presque rien sur la France. Les journaux mentionnent surtout les manifestations de la grippe à l’étranger, notamment en Angleterre, en Suisse et en Allemagne.

Ainsi, début juillet, les Français apprennent grâce au Matin, un des quatre grands quotidiens de l’époque, que, dans plusieurs établissements londoniens, la moitié du personnel est absent car… alité.

Le 4 juillet 1918, dans Le Matin toujours, les Français peuvent lire qu’à Londres, un médecin qui avait 52 malades jeudi dernier en avait la veille 184. Que 10 % du personnel des grands magasins sont absents. Qu’à Dudley, 4 000 enfants sont atteints et que toutes les écoles sont fermées. Qu’à Manchester, 70 tramways ne circulent pas par suite de l’absence de 3 000 conducteurs. Qu’à Berlin, les registres du bureau d’assurances contre la maladie montrent, qu’en quinze jours seulement, le nombre de malades a augmenté de 18 000.

Mais, ajoute le journaliste, que les lecteurs se rassurent, les Français ont une constitution qui résiste bien au virus de la grippe. Ainsi, dans Le Matin du 6 juillet 1918, on peut lire qu’en France, la grippe est bénigne, ce qui n’est pas le cas outre-Rhin : « Nos troupes, en particulier, y résistent merveilleusement. Mais de l’autre côté du front, les Boches semblent très touchés. Est-ce un symptôme de lassitude, de défaillance d’organismes dont la résistance s’épuise ? Quoi qu’il en soit, la grippe sévit en Allemagne avec intensité. »

Les journaux tentent de trouver les responsables. Plusieurs d’entre eux accusent l’Allemagne. « Il est à noter que cette prétendue grippe espagnole a éclaté il y a plusieurs mois en Allemagne où elle a trouvé un terrain tout préparé par l’insuffisance de la nourriture. Elle a causé dans ce pays de grands ravages qui ont été soigneusement cachés », peut-on lire dans Le Petit Parisien du 7 juillet.

En août, alors que les cas compliqués de grippe se multiplient un peu partout, la presse n’est guère plus bavarde. Ainsi, dans La Croix du 4 août, on apprend que cette maladie a fait son apparition à Ratisbonne, à Nuremberg, à Passau, à Ingolstadt et dans le duché de Hesse, dans la banlieue de Dresde, et à Berlin. Et que parmi les malades, il y aurait le Kaiser lui-même ainsi que plusieurs membres de sa famille. Dans un article du 7 août 1918 publié dans Le Journal, on peut lire que la grippe n’est pas si grave. Que c’est une grippe « pure et simple » et que l’on s’en défend par des soins du nez, de la gorge et en s’abstenant d’assister à de grandes réunions. Le 18 août, Le Petit Parisien publie un petit entrefilet de l’Agence Havas sur la grippe : « La grippe espagnole est signalée à Cahors et dans les environs. Des cas mortels, au nombre d’une dizaine, dont trois dans une même famille du village de Trespoux, se sont déjà produits. » Le lendemain, Le Petit Parisien explique que le rapatriement des rapatriés français internés en Suisse est retardé pour cause de grippe.

Le 31 août, Le Matin parle d’une « petite épidémie ». Et pourtant, fin août 1918, l’épidémie s’aggrave brutalement dans le sud de la France, à Marseille, à Toulon, à Hyères, à Aubagne et ailleurs. Militaires, civils, prisonniers. Personne n’échappe à la grippe.

La maladie défie tout pronostic. Un cas qui semblait bénin se transforme du jour au lendemain en cas grave avec une évolution fatale. Un responsable du secteur médical dans le sud de la France écrit : « Le plus souvent, brusquement, parfois après quelques jours de maladie, un individu jeune, vigoureux et jusque-là bien portant est atteint de fièvre et d’accident pulmonaire. (…) Quelques heures après la mort, le cadavre se violace, la face se bouffit, et presque toujours une spume [écume] rose et sanglante fait tissu par la bouche et les narines. L’autopsie montre des poumons gonflés, tuméfiés, d’une coloration noire, violet. » 

Mais, les titres des journaux sont toujours, et surtout, consacrés aux combats : avance victorieuse des Britanniques, victoires françaises.

II. À PARTIR DE SEPTEMBRE 1918, L’ÉPIDÉMIE PREND UN TOUR DRAMATIQUE

Courant septembre, la pandémie s’étend en Afrique du Nord, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud. Au ministère des Affaires étrangères, des télégrammes arrivent du monde entier, de Porto-Rico, d’Éthiopie, de Libye, du Brésil, et de Mascate où le responsable consulaire signale que la grippe a fait à Bombay jusqu’à 750 victimes et s’est propagée dans tout le golfe Persique. Tous les pays peinent à faire face à l’afflux des malades.

En France, la grippe se propage à la faveur du déplacement des troupes. « Il est incontestable », indique un rapport daté du 27 septembre, que “le contact intime de la population civile avec les éléments militaires, et la circulation intensive dans les trains bondés, favorise la diffusion de l’épidémie et rend impossible toute prophylaxie générale”. » 

Comme les hôpitaux de la zone des armées sont embouteillés, car il faut libérer des lits pour les blessés, on évacue les grippés sur les hôpitaux de l’Intérieur. Et au total, on ne fait qu’étendre les ravages.

En septembre, il y a toujours peu d’articles sur la grippe dans la presse. Ce sont surtout des entrefilets. Mais on sent à leur lecture que la situation s’aggrave. Le Figaro compare l’épidémie à celle de 1889 qui avait fait de nombreuses victimes. La Croix du 1er septembre rapporte que, dans un petit village de l’Allier, 20 personnes sur les 40 que comprend le village sont grippées ; et 4 sont décédées. Le 4 septembre, La Croix signale 70 décès parmi les militaires de Toulon.

Cette fois, c’est surtout la grippe en France qui intéresse les journaux. 

En octobre, la grippe prend une tournure dramatique. Il y a de plus en plus de cas compliqués, et de plus en plus de morts. Partout, les hôpitaux peinent à faire à l’afflux de grippés. Les médecins manquent, de même que les médicaments de base comme la quinine, l’antipyrine, le formol ou encore l’huile de ricin.

Pendant tout le mois, chaque jour ou presque, les journaux publient des articles sur la grippe. Nous en avons compté 18 dans Le Figaro, 18 dans La Croix, 18 aussi dans Le Journal et 9 dans L’Humanité.

Les journaux publient des conseils de prophylaxie collective et de prophylaxie individuelle. On recommande de se laver les mains, de se rincer la bouche régulièrement et de se nettoyer les dents après chaque repas. On conseille de faire des gargarismes matin et soir avec de l’eau oxygénée ou de l’eau dentifrice, de faire des aspirations nasales d’eau chaude additionnée d’eau de Javel, et d’éviter le refroidissement. Si un cas se déclare dans une famille, on conseille d’isoler immédiatement le malade et, si le logement est trop étroit, de le faire hospitaliser. On demande aussi aux gens de tout désinfecter, et de laver les vêtements en particulier ceux qui sont directement en contact avec la peau. On conseille aussi de mettre un masque protecteur car il limite la diffusion des germes et si on ne dispose pas de masques, on peut aussi, écrit un médecin, dans Le Matin remplacer ce masque par « une simple compresse hydrophile trempée dans l’eau bouillie, posée sur le nez et la bouche et attachée par-dessus les oreilles avec un cordonnet ». L’hebdomadaire L’Illustration aussi y va de ses conseils : recueillir les crachats du malade dans un récipient d’eau mélangée de formol du commerce, faire moucher le malade dans des compresses qui seront jetées dans un récipient d’eau formolée. Les journaux conseillent aussi de ne plus balayer les lieux publics à sec, pas plus du reste que les appartements privés. Enfin, on recommande d’éviter les réunions de personnes nombreuses aussi bien en plein air que dans des lieux fermés comme les lieux consacrés aux cultes, les théâtres, les cinémas, les grands magasins, le chemin de fer 

En l’absence de connaissances scientifiques suffisantes, on cherche des remèdes. On tâtonne. Les journaux citent le cas de la Grande-Bretagne où, sur avis des médecins impuissants à arrêter le mal, le ministre anglais du Ravitaillement a rendu libre la vente des alcools comme le whisky, le gin ou le brandy. En France, c’est avec du rhum que l’on pense faire reculer le mal.

On apprend aussi dans les journaux que ce sont les personnes de 20 à 30 ans qui paient le plus lourd tribut. Car plus personne n’ignore en France que la grippe tue un peu plus chaque jour. Régulièrement, les journaux publient les chiffres de la statistique municipale. C’est ainsi que le 17 octobre, les lecteurs du Journal peuvent lire : « Le nombre de cas de grippes augmente. Aujourd’hui, on en compte jusqu’à 700 par jour, alors que la semaine dernière il n’y en avait guère que 400. D’autre part, la statistique qui paraîtra demain au “Bulletin municipal” accuse 1 445 décès pour la semaine qui vient de s’écouler au lieu de 989 pour la semaine précédente. Rappelons que la moyenne en temps normal pour la saison précédente est de 721 décès. »

Dans l’ensemble, les journaux critiquent peu la façon dont les autorités luttent contre la grippe . Parmi ces articles, il y a celui du Journal du 19 octobre, en page 1, qui accuse le gouvernement de se contenter de donner des conseils comme éviter les rassemblements, prendre des grogs au rhum, de l’aspirine et de la quinine (et pourtant l’hydroxychloroquine est un dérivé synthétique de la quinine. Philippe Lance), et appeler le médecin au premier malaise. « C’est facile à dire, poursuit le journaliste, le rhum est hors de prix : vous n’en trouverez pas à moins de 16 F le litre et si vous voulez une “marque”, ce sera 20 ou 25 F. De plus, vous ne pouvez acheter moins de 2 l à la fois – excellente mesure n’est-ce pas contre l’alcoolisme. Les médicaments sont quasi introuvables. Quant au médecin, difficile d’en trouver un. » Le même jour, en page 2 cette fois, Le Journal accuse les autorités de s’être contenté de placarder des affiches et de publier des circulaires mais de ne pas avoir lancé de lutte sérieuse. Le journaliste pense qu’il faut prendre des mesures plus fortes comme le licenciement des écoles, l’interdiction des rassemblements et un cordon sanitaire aux frontières et dans les ports. Et le journaliste conclut : « L’heure n’est pas aux demi-précautions. »

C’est aussi au cours du mois d’octobre que les réclames sur les médicaments pour soigner la grippe espagnole sont les plus nombreuses.

Le 26 octobre, Le Petit Parisien publie la formule d’un traitement qui marche. Pour le fabriquer, il faut de nombreux ingrédients : aspirine, citrate de caféine, benzoate de soude… et des tisanes d’orge, de chiendent, de queues de cerises, sans compter de la teinture de cannelle, de la teinture de quinquina, du sirop d’écorce d’orange amère… Le prix de cette recette merveilleuse : 45 F ! L’article a fait affluer chez les pharmaciens un grand nombre de gens qui réclament que leur soit délivré les produits dont la liste occupe une demi-colonne du quotidien.

Il y a aussi la « Farine tutélaire » : « La maladie n’a de prise que sur les tempéraments débilités. » La suralimentation s’impose donc pour se préserver des grippes de quelques nationalités qu’elles soient. Par ces temps de restrictions, un seul aliment est possible pris entre les repas ou à tous les repas : « La Farine tutélaire sucrée, lactée ou non lactée ». Ou encore la Fluatine fabriquée par les laboratoires des Phocéens : « On est certain d’éviter ou d’enrayer la grippe espagnole et toutes les maladies épidémiques – choléra, peste, typhoïde, variole, rougeole, scarlatine, etc. » si on mélange à sa boisson un peu de Fluatine. Quant au puissant Rheastar, il guérit aussi bien la tuberculose que la grippe espagnole : « Non toxique, bon pour l’estomac, bienfaiteur surtout des alvéoles pulmonaires, le Rheastar a vite fait d’atteindre le siège du mal, à cause de sa douceur, il est accueilli en ami par nos cellules… La grippe guérit en faisant place à la gaieté messagère de la santé », « aussi, dès les premières cuillerées on se sent mieux, puis les migraines, névralgie, coryza disparaissent, la toux mûrit et cesse, la fièvre tombe, la faiblesse, les courbatures s’évanouissent, l’appétit reprend, la grippe guérit en faisant place à la gaieté messagère de la santé ». On peut aussi prendre les pilules Dupuis qui « chasseront la grippe et ses innombrables conséquences », les gouttes livoniennes qui soignent aussi les rhumes, la toux, les bronchites, la grippe, les catharres et l’asthme ou encore l’Elixir Bleu Hera.

Fin octobre-début novembre, la presse parle de décroissance des cas de grippe, et citent des chiffres à l’appui : à Paris, dans la semaine du 20 au 26 octobre, 2 566 décès dont 1 778 sont directement imputables à l’épidémie, ce qui fait une moyenne de 254 décès par jour. Les 27 et 28 octobre, on compte 495 décès en deux jours, soit une moyenne de 247 par jour. Le 29 octobre, on compte encore 306 morts mais le 30 octobre on en compte seulement 189 et, le 31 octobre, 209.

En novembre, la grippe entame vraiment sa décroissance. Les journaux s’en font l’écho : onze articles dans La Croix, dix dans Le Journal, neuf dans Le Figaro et quatre dans L’Humanité.

Le 13 novembre, deux jours après la signature de l’armistice, Le Journal titre : « La grippe est en déroute ainsi que les Boches. »

Début décembre, on observe une recrudescence de la maladie et puis à nouveau une baisse. Le nombre d’articles consacrés à la grippe diminue sensiblement : on en compte quatre dans Le Journal, trois dans La Croix et dans L’Humanité, et aucun dans Le FigaroLa Croix publie le bilan de la grippe : 6 millions de victimes dont 3 millions de morts en Inde. Le Journal revient sur les mesures à prendre en cas de grippe. Mais aucun journal ne fait le point sur le nombre de total de victimes de la grippe à Paris.

III. UNE RÉPLIQUE MORTELLE VA AVOIR LIEU EN FÉVRIER ET MARS 1919

Malheureusement, le drame n’est pas fini. En 1919, une troisième vague mortelle touche les dernières régions encore épargnées.

Au cours de ces deux mois – février et mars 1919 –, les articles consacrés à la grippe portent essentiellement sur le nombre de victimes à Paris, semaine après semaine : 901 décès la dernière semaine de février, 649 au cours de la première semaine de mars, puis 296 et 161 décès au cours des deux semaines suivantes. Les journaux citent aussi le nom des personnes atteintes de la grippe comme Mme Caillaux ou encore le préfet de police de Paris. On s’étend sur les funérailles d’Edmond Rostand, décédé de la grippe espagnole le 2 décembre 1918 alors qu’il suivait les répétitions de L’Aiglon au théâtre Sarah Bernhardt. Le Figaro consacre un long encadré au Pr Chantemesse mort de la grippe espagnole. On cite les chiffres des victimes de la grippe en Inde : 6 millions de morts ! Un chiffre que l’on considère aujourd’hui comme correspondant à la réalité. On commence à mesurer l’ampleur de la deuxième épidémie de grippe. Ainsi L’Illustration dans un numéro de 1919 raconte en détail le drame de Tahiti où la pandémie a pris des proportions dramatiques. Le 16 novembre 1918, un paquebot, le Navua, venant de San Francisco accoste à Papetee. Il y a plusieurs grippés à bord. Pourtant, le débarquement est autorisé. Malgré la mort de plusieurs marins, les autorités minimisent l’affaire. Elles autorisent même l’organisation de fêtes en l’honneur de la victoire de la France sur l’Allemagne. La suite est épouvantable… En moins de douze heures, la moitié de la population de l’île tombe malade. L’hôpital est submergé par l’afflux de grippés. Les trois seuls médecins de l’île meurent. Les magasins ferment. Bientôt, il est difficile de se procurer des vivres et du pain. Tout manque. Les rues se vident. Seuls circulent encore les chariots qui transportent les cadavres jusqu’à la fosse commune. Les secours arrivent trop tard. On déplore plus de 1 000 morts sur une population de 5 000 habitants. Soit 20 fois plus de victimes que le cyclone de 1906 !

Et comme pendant la deuxième vague, les charlatans vantent des médicaments miracles. Ainsi le Grippécure qui « coupe rapidement la fièvre et provoque, dès le premier jour, l’évacuation de l’intestin, qui débarrasse l’organisme des humeurs peccantes. Il arrête le rhume et fait disparaître les maux de tête. C’est un tonique puissant qui rétablit les forces physiques et, par suite, relève rapidement le moral ». Ou encore, le « Révulsif boudin » qui soigne les grippes, les rhumes… mais aussi les lumbagos, les névralgies et les sciatiques. Ce produit qui s’applique au pinceau, soulage immédiatement et ne laisse aucune trace sur la peau.

Au mois de mai 1919, la mortalité a considérablement diminué. Mais l’épidémie a marqué les mémoires comme en témoigne cet article publié dans Le Matin du 18 mars 1919 : « Les journaux médicaux de la Suisse signalent la fréquence extrême d’une curieuse complication de la grippe, qui se manifeste par la chute plus ou moins complète des cheveux. Cet accident apparaît de huit à dix semaines après la guérison, se montre particulièrement fréquent dans la convalescence des cas graves, dure environ un mois, et peut aboutir à la calvitie complète. Cet accident est vraisemblablement dû à l’action toxique de l’infection sur le bulbe pileux, et la chute ne se produit que tardivement lorsque le cheveu, frappé de mort, est chassé hors de son alvéole par le cheveu nouveau. Il ne s’ensuit pas qu’on doive, comme on l’a souvent fait, pratiquer systématiquement le sacrifice de la chevelure, cette mutilation n’étant d’aucun intérêt thérapeutique. Au contraire, la médication générale par l’arsenic, que préconise M. Thibierge, les frictions de térébenthine, et les pulvérisations résorcinées seront souvent d’un grand secours dans le traitement de cette curieuse complication. » Longtemps après la guerre, la grippe va continuer à frapper les esprits.

Aujourd’hui encore, personne n’est d’accord sur l’origine de la maladie et sur le nombre de victimes. Mais plus que jamais, la grippe espagnole est un sujet d’actualité. Car tous ceux, médecins et chercheurs, qui travaillent sur la grippe aviaire y font référence. Pour montrer que la grippe est une maladie beaucoup plus dangereuse qu’on ne le croit généralement.

Notes

  • Archives du Service de santé des Armées du Val-de-Grâce, carton 810.
  • Archives du Service de santé des Armées du Val-de-Grâce, carton 810.
  • Le 31 mars 1918, Le Journal titre à la Une « Le canon monstre hier encore a bombardé Paris ».
  • SHAT, 5N441-5N444, rapports journaliers d’échoppage.
  • Archives du Service de santé des Armées du Val-de-Grâce, cartons 810, 813, 814.
  • Archives du Service de santé des Armées du Val-de-Grâce, carton 811, rapport du médecin-major 1re classe, Ravaut, 31 août 1918.
  • Archives du Service de santé des Armées du Val-de-Grâce, carton 813.
  • Le Journal, 13 octobre 1918, p. 2.
  • Cette absence de critiques n’a pas pour raison la censure comme nous avons pu le constater dans les Archives du Service historique de l’Armée de terre.
  • En 1918, la rumeur court que la grippe aurait été envoyée par les Allemands dans les boîtes de conserve, ou qu’elle serait arrivée jusqu’en France par sous-marin, ou encore que les premiers cas auraient été observés à la prison de Sing-Sing aux États-Unis et que de là, elle aurait gagné l’Europe à bord des bateaux qui transportaient les militaires américains.

Mis en ligne sur Cairn.info le 12/03/2009

George Remus (14 novembre 1874 – 20 janvier 1952): Un pharmacien et avocat qui n’a jamais payé le droit d’accise

Georges Remus est né à Berlin de Frank et Maria Remus. La famille de Remus a déménagé à Chicago à l’âge de 5 ans. À 14 ans, George a soutenu la famille en travaillant à la Pharmacie de son oncleAprès avoir obtenu son diplôme du Chicago College of Pharmacy à 19 ans, Remus est devenu pharmacien agréé et a acheté sa pharmacie à 21 ans. 

En cinq ans, Remus se développa, achetant une autre pharmacie. Cependant, il est vite fatigué de la pharmacie et, à 24 ans, il est devenu avocat.

Remus a étudié au Illinois College of Lawet a été admis au barreau de l’Illinois en 1904. Spécialisé dans le meurtre, il est devenu assez célèbre. En 1920, Remus gagnait 50 000 dollars par an, soit environ 625 000 dollars aujourd’hui.

Suite à la ratification du 18ème amendement et à l’adoption de la loi Volstead le 16 janvier 1920, la prohibition a commencé aux États-Unis. En quelques mois, Remus s’aperçut que ses clients criminels devenaient très riches très rapidement grâce à la production et à la distribution illégales de boissons alcoolisées. Il a décidé de devenir lui-même un criminel, utilisant sa connaissance de la loi pour échapper à la peine.

Il a acheté des distilleries et des pharmacies pour produire et vendre de l’alcool à des”fins médicinales”, en vertu de licences gouvernementales. Les employés de Remus détourneraient alors sa propre boisson alcoolisée afin qu’il puisse la vendre illégalement. Remus a déménagé à Cincinnati , où 80% du whisky sous douane des États-Unis était situé dans un rayon de 480 km, et a racheté la plupart des fabricants de whisky. En moins de trois ans, Remus gagna 40 millions de dollars. Il possédait plusieurs des plus célèbres distilleries américaines.

L’une des distilleries fortifiées de Remus était la “Ferme de la Vallée de la Mort”, située à Westwood. Le monde extérieur pensait qu’elle n’était accessible que par un chemin de terre. La distillerie était située au 2656 Queen City Ave. L’alcool était distillé dans le grenier de la maison. Une trappe se trouvait dans le sous-sol, qui était l’entrée d’un tunnel d’environ 15 à 30 m de long et 1,8 m sous le sol. Les contrebandiers transportaient les produits le long du tunnel vers une voiture en attente, généralement en sécurité. 

Un des somptueux dîners de George Remus chez lui à Price Hill. Remus est assis avec sa femme, Imogene, debout à sa droite, et sa fille avec son bras sur l’épaule de Remus. Les invités recevaient généralement des copies des photos du dîner. Société historique de Delhi / Cincinnati.

En plus de devenir le “roi des bootleggers”, Remus était connu pour être un hôte aimable. Il a organisé de nombreuses fêtes, notamment une fête d’anniversaire de 1923 pour son épouse Imogene, au cours de laquelle elle est apparue dans un audacieux maillot de bain avec d’autres danseuses aquatiques, animée par un orchestre de quinze musiciens. Les enfants de la région ont également vu Remus comme une figure paternelle. En 1922, Remus et son épouse organisèrent le Nouvel An dans leur nouveau manoir, surnommé le Palais de marbre. Les invités comprenaient cent couples issus des familles les plus prestigieuses de la région.Remus remit à tous les hommes des pinces en diamant et donna à la femme de chaque invité une voiture. 

 Il a été inculpé de milliers de violations de la loi Volstead, condamné par un jury qui a rendu sa décision en moins de deux heures et condamné à une peine de deux ans de prison fédérale.  Lorsqu’il était en prison, Remus s’est lié d’amitié avec un autre détenu et s’est finalement confié à lui que son épouse, Imogene Holmes, avait le contrôle de son argent. Le détenu était un agent en civil (moins intègre qu’Eliot Ness), Franklin Dodge, qui était là pour rassembler des informations de ce type.  Au lieu de rapporter l’information, Dodge a démissionné de son poste et a commencé une liaison avec l’épouse de Remus. Dodge et Imogène ont liquidé les actifs de Remus et caché le plus d’argent possible, en plus de tenter de déporter Remus et même d’avoir engagé un tueur à gages pour l’assassiner pour 15 000 dollars. En outre, la distillerie Fleischmann de Remus a été vendue par Holmes. La femme de Remus n’a donné à son mari emprisonné que 100 dollars de l’empire de plusieurs millions de dollars qu’il a créé.

À la fin de 1927, Imogene Holmes a demandé le divorce de Remus. Le 6 octobre 1927, alors qu’il se rendait au tribunal pour la finalisation du divorce, son chauffeur poursuivit le taxi tout en transportant Holmes et sa fille  à Cincinnati, le forçant finalement à quitter la route. Remus a sauté et a abattu Imogene dans l’abdomen devant les badauds horrifiés.

Le procès a fait la une des journaux nationaux pendant un mois, alors que Remus se défendait pour le meurtre. Remus plaida une folie temporaire et le jury ne délibéra que dix-neuf minutes avant de l’acquitter.

George Remus s’installa plus tard à Conington dans le Kentucky, où il vécut modestement sans incident les vingt dernières années de sa vie. Il s’est marié pour la troisième et dernière fois avec sa secrétaire. Remus dirigea une petite société de sous-traitance, Washington Contracting, jusqu’à ce qu’il subisse un AVC en août 1950. Pendant les deux années suivantes, il vécut dans une pension à Covington, sous la garde d’une infirmière. Remus est décédé le 20 janvier 1952 à l’âge de 77 ans.  Il est enterré près de sa troisième femme au cimetière Riverside à Falmouth dans le Kentucky.

La Tombe de Georges Remus

Certains historiens américains supposent que Remus a inspiré Fitzgerald pour son personnage de “The Great Gatsby.”

Philippe Lance avec l’aide de Wikipédia

Gaz de combat et pharmaciens militaires 1915-1918

 La guerre chimique est un nouveau domaine où les pharmaciens militaires d’actives ou mobilisés ont pris une part déterminante durant cette guerre.

Pour la première fois les gaz sont utilisés de manière systématique alors que les deux armées n’étaient pas préparées à ce type d’agression. Immédiatement après l’attaque sur Ypres, le 22 avril 1915, l’Etat major s’adressait au service de santé pour réunir toutes les informations sur les gaz. Les pharmaciens du fait de leur connaissance en chimie et en toxicologie sont rapidement mis à contribution. Ils participent également à l’enseignement des cadres militaires dans ce nouveau domaine. masque

Les pharmaciens sont notamment responsables du prélèvement des échantillons des gaz utilisés par l’ennemi pour ensuite les analyser dans les laboratoires de toxicologie divisionnaires. Le premier masque à gaz français (juillet 1915) formé d’une gaze imbibée d’huile de ricin est ainsi d’origine pharmaceutique.

Viendra ensuite la cartouche mis au point notamment par Paul Lebeau (1868-1959) professeur en pharmacie chimique et toxicologie à la faculté de pharmacie de Paris. Il est à l’origine des avancées dans les masques de protection français. Il propose des cartouches comprenant de la gaze, de l’oxyde de zinc, du carbonate de sodium et du charbon de bois composé encore retrouvé dans la cartouche actuelle. Durant la guerre 1939-1940 il faisait partie de l’Etat-major de la défense contre les gaz. Dans le domaine de la guerre chimique, les pharmaciens militaires notamment les professeurs de la faculté de pharmacie de Paris mobilisés jouent un rôle à la fois dans la protection mais aussi dans la fabrication (75 000 tonnes).

C’est le cas de Gabriel Bertrand (1867-1962) plus connu par les pharmaciens militaire pour sa technique de dosage des sucres. Chef de service de biologie à l’Institut Pasteur en 1900 il propose l’utilisation de la chloracétone, un lacrymogène, dans une grenade mise au point par ses soins en 1915 puis devient durant la guerre un chercheur des plus actifs grâce à ses connaissances en chimie sur les différentes substances agressives utilisables. Il fut nominé sans succès plusieurs fois pour le prix Nobel de chimie. Les pharmaciens attachés au Service chimique durant cette guerre ont joué un rôle essentiel dans la protection des soldats.

source:  Lejaille A. La contribution des pharmaciens dans la protection individuelle contre les gaz de combat durant la Première Guerre mondiale-Extension à la période 1920-1940. Université Henry Poincaré, Nancy, 1999

Les “Sœurs-Apothicaires” du Moyen-Age jusqu’au XVIIIème siècle

Sous l’Ancien Régime, les religieux et religieuses ne se contentèrent pas de distribuer les remèdes ordinaires aux pauvres. Ils devinrent aussi fabricants et vendeurs de remèdes et furent parmi les premiers à préparer des « spécialités ». Le clergé fut donc pour les apothicaires et pharmaciens un concurrent dangereux.

Cette situation va persister jusqu’au XIXe siècle où on va progressivement confier la pharmacie de l’hôpital aux pharmaciens diplômés, donnant lieu à plusieurs conflits et procès entre religieuses et pharmaciens.

Au Moyen-Age, l’activité pharmaceutique des religieux est très développée. A titre d’exemple, en 1309, le couvent des Dominicains de Montpellier abrite plus de 60 moines qui enseignent la pharmacie à des prêtres de toutes nationalités. L’importance des moines apothicaires était telle qu’ils venaient immédiatement après le prieur et le sous-prieur dans les communautés où certains d’entre eux jouissaient de prérogatives seigneuriales. Le clergé séculier s’occupa lui aussi de la préparation et de la distribution des remèdes. En 1310, Jean Alande, chanoine de Chartres, est cité avec le titre d’apothicaire-médecin.

Dans les hôpitaux, Hôtels-Dieu ou hospices, le service pharmaceutique était le plus souvent assuré par des religieuses. A l’Hôtel-Dieu de Paris où une apothicairerie est créée en 1495, deux religieuses aidées d’une domestique furent chargées de ce service dès l’origine.

Rousselet a donné des renseignements sur l’organisation de l’apothicairerie:

« Premièrement l’office de l’apocticquairerie, en laquelle lesdits sieurs gouverneurs font resserer toutes le drogues qu’ils acheptent pour faire les médecines, eaues, sirop, tizanes, est remplye de meubles, mortiers, pilons, fourneauls, et autres ustancilles servant à faire lesdites médecines, et pour y avoir l’oeul, y ont estably une antienne religieuse, qui a avec soy une jeune religieuse que l’on appelle jeune sœur, un garson qui a vingt escus de gaige par an, laquelle jeune sœur, par le commandement de ladicte antienne relligieuse, baille au garson appotiquaire les drogues pour faire les medecines que le médecin ordonne ».

A partir de 1560 en effet, c’est un garçon apothicaire qui est chargé de préparer les médicaments. Le rôle des religieuses restera important à l’Hôtel-Dieu de Paris jusqu’au XVIIIe siècle comme en témoigne les médecins de l’hôpital qui se plaignent des religieuses en 1756 car elles préviennent les malades « contre les remèdes » et « contre le régime prescrit par les médecins ».

Cependant, le rôle des religieuses devient progressivement tout à fait restreint en matière de pharmacie et se réduit au rôle de surveillante à la fin du XVIIIe siècle.

Parmi les religieuses qui ont marqué l’Hôtel-Dieu à Paris, il faut citer Sœur Sainte-Thècle (ou Mère Thècle), qui exerçait à la fin du XVIIe siècle, à laquelle on doit un fameux onguent de la Mère, trouvé merveilleux « maturatif et suppuratif » par les maîtres chirurgiens de l’hôpital.

Cet exemple de l’Hôtel-Dieu de Paris se retrouve dans de nombreux hôpitaux. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le personnel soignant est le plus souvent un personnel religieux. Dans les établissements de taille modeste surtout, il existe des hospitaliers ou des hospitalières qui assurent seuls ou aidés de domestique le service des malades.

Apothicairerie de l’Hôtel-Dieu de Lyon

« Le XVIIe siècle est marqué par la création et la diffusion d’ordres hospitaliers, surtout féminins. Il y a même un foisonnement de ces ordres. Il arrive d’abord que quelques filles dévotes prennent en charge le service d’un hôpital. Même si on les nomme « sœurs », « servantes des pauvres » elles demeurent des laïques. Plusieurs hôpitaux, comme ceux de Thiers et de Clermont fonctionnent avec le seul dévouement de veuves et de filles charitables2 ». Certaines congrégations de laïques furent appelées à un rayonnement assez vaste. C’est le cas des « filles hospitalières de Sainte Marthe issues de l’Hôtel-Dieu de Beaune. Elles se répandent en Bourgogne, en Beaujolais, en Comté3 ». En Anjou, plusieurs hôpitaux sont desservis par une autre congrégation, celle des hospitalières Saint-Joseph créées à La Flèche en 1636.

Cependant, la plupart des sœurs appartiennent à des ordres religieux hospitaliers : religieuses de la Charité de Notre-Dame, de Saint-Charles de Nancy, les religieuses augustines de la Miséricorde de Jésus, Hospitalières de Saint-Augustin… A Blois, on fit appel aux sœurs de Saint-Paul de Chartres, et, en 1786 aux filles de la Sagesse. « La multiplication de ces ordres s’explique souvent par la difficulté d’obtenir des congrégations centralisées. Elle s’explique aussi par l’engouement de l’âge tridentin pour la formule des clercs vivant dans le siècle, mais soumis à une règle. C’est Vincent de Paul qui réalisa le mieux cette idée avec les Filles de la Charité4 », comme l’indiquait leur règle : « Elles ont pour monastère la maison des malades, pour cellule une chambre de louage, pour chapelet l’église de la paroisse, pour cloître les rues des villes ou les salles des hôpitaux, pour clôture l’obéissance, pour grille la crainte de Dieu, et pour voile la sainte modestie5 ». « Elles firent d’abord la visite des hôpitaux avec les dames charitables mais » furent vite « affectées dans des hôpitaux6 ». De nombreuses religieuses sont ainsi installées dans les hôpitaux à la demande des recteurs ou des intendants des hôpitaux.

« L’entrée des religieuses dans les hôpitaux donne généralement lieu à un traité, passé devant notaire7 », comme le montre cet exemple « des hospitalières de Saint-Augustin à Riom : Elles auront « à servir, panser, médicamenter les malades et infirmes de l’Hôtel-Dieu où les blessés qui ne seront pas atteints de plaies et de maladies indécentes à voir ou à traiter, et où il n’y aura pas d’amputation des membres ».

La présence des religieuses hospitalières dans les hôpitaux fait d’abord de ceux-ci des lieux de rédemption pour le personnel soignant comme pour les malades. Des règlements comme celui de l’hôpital de Dijon, désignent les pauvres comme « les seigneurs et maistres » des religieuses qui « doivent les servir avec une charité respectueuse, regardant Jésus-Christ en leurs personnes8». « Cette manière de concevoir le service des malades n’est pas propre aux Filles de la Charité » mais se retrouve par exemple chez « les Augustines qui assurent le service de l’Hôtel-Dieu de Bourges », où « les religieuses doivent considérer les pauvres malades « comme la personne adorable de Jésus-Christ et les regarder comme ses plus vives images9 ».

En dépit de l’infinie variété des situations, il s’avère que la plupart des sœurs apothicaires, formées d’une façon très empirique, finissent par acquérir une solide expérience et une véritable autonomie par rapport au corps médical. « Une jeune fille qui montre un grand intérêt et des talents particuliers pour la pharmacie est tout de suite remarquée et confiée à la Mère apothicaire. Au terme d’une longue initiation, fondée principalement sur l’observation ou à partir de stages intensifs offerts aux jeunes augustines de province à l’Hôtel-Dieu de Paris, les nouvelles recrues sont en mesure de remplacer avantageusement leurs supérieures10 ».

A tel point que « les religieuses deviennent irremplaçables dans la plupart des Hotels-Dieu de province. Ainsi, celles de Loudun, Poitiers, Bourg en Bresse… supplantent les apothicaires de la ville, celles de Brest confectionnent des caisses de médicaments pour l’équipage des vaisseaux tandis que Sœur Honoré, à l’hôpital de Meung-sur-Loire, a fondé l’apothicairerie qui n’a jamais rien coûté car le bénéfice réalisé sur les remèdes vendus suffisait à fabriquer les autres et l’excédent était employé à l’amélioration de l’apothicairerie11 ».

Les conflits avec les apothicaires sont nombreux comme le montre l’exemple de Parmentier nommé apothicaire en chef des Invalides. Voulant « prendre la direction effective de la pharmacie en 1772, les Filles de la Charité protestèrent et obtinrent l’appui du Conseil d’Etat qui supprima le titre « usurpé » de Parmentier tout en lui accordant des compensations. La réalité fut plus nuancée car les préparations délicates étaient en fait confiées à l’apothicaire des Invalides12 ».

Au moment de la Révolution française, on assiste à la fois à la disparition des ordres hospitaliers et à la poursuite, dans la plupart des hôpitaux, de l’activité des sœurs « un dilemme commun à l’Assemblée Nationale et à l’Assemblée législative se pose en effet : comment supprimer les congrégations religieuses hospitalières sans arrêter du fait même la marche des établissements ? La réponse est donnée par le décret du 18 août 1792 : sont éteintes « toutes les congrégations religieuses et congrégations séculières… même celles uniquement vouées au service des hôpitaux et au soulagement des malades ». Mais l’article 2 prévoit que « néanmoins, dans les hôpitaux et maisons de charité, les mêmes personnes continueront comme ci-devant le service des pauvres et le soin des malades à titre individuel ». Par ailleurs, des sanctions sont prévues contre les religieuses qui abandonneraient leur poste sans raison valable et sans l’accord des municipalités13 ».

Les religieuses, autrefois chargées des apothicaireries, retrouvent leur poste dès le Directoire. Mais les progrès de la pharmacie vont peu à peu les marginaliser en faveur des pharmaciens diplômés, bien que le conflit entre religieuses et pharmaciens hospitaliers se poursuive encore plusieurs dizaines d’années après la révolution française.

Bruno Bonnemain novembre 2009

2 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 206

3 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 207

4 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 208

5 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 208

6 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 209

7 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 209

8 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 210

9 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 217

10 Marie-Claude Dinet-Lecomte. Pour une histoire des sœurs apothicaires dans la France moderne in Revue Mabillon, t. 9, 1998. p. 232-233

11 Marie-Claude Dinet-Lecomte. Les sœurs apothicaires en France aux XVIIe et XVIIIe siècles . Actes du XXXIIe Congrès International d’Histoire de la Pharmacie, 1996

12 Marie-Claude Dinet-Lecomte. Pour une histoire des sœurs apothicaires dans la France moderne in Revue Mabillon, t. 9, 1998. p. 232

13 Extrait de Histoire des hôpitaux en France / sous la direction de Jean Imbert. Toulouse : Privat, 1982. p. 287

14 Marie-Claude Dinet-Lecomte. Pour une histoire des sœurs apothicaires dans la France moderne in Revue Mabillon, t. 9, 1998. p. 223

15 Marie-Claude Dinet-Lecomte. Pour une histoire des sœurs apothicaires dans la France moderne in Revue Mabillon, t. 9, 1998. p. 224

 

Molière et l’apothicaire Fleurant

Quand Molière fit son Malade imaginaire, il ne trouvait pas de nom pour le « lévrier de la Faculté », qu’il voulait mettre en scène.

Un jour, rencontrant un garçon apothicaire armé du plus noble ustensile de sa profession, il lui demanda sur qui « il allait tirer ». L’apothicaire lui répond qu’il va « seringuer de la beauté » à une comédienne.

— Comment vous nommez-vous ? lui demanda Molière.
— Fleurant, répond le « Postillon d’Hippocrate ».

Molière, enchanté d’avoir trouvé un nom qu’il cherchait vainement depuis plusieurs jours, ne peut résister au désir de lui en témoigner sa reconnaissance : il l’embrasse. Peu après, ce garçon apothicaire, grâce à l’indiscrétion de Molière,devint maître et fit fortune. Le ridicule de son nom avait fait son bonheur.

A propos de cette pièce, signalons un petit détail qui est peu connu :

A la première représentation, Béralde disait au clystériseur :

— Allez, monsieur, on voit bien que vous n’avez coutume de parler qu’à des culs.

Un murmure désapprobateur s’éleva du parterre. A la seconde représentation, on applaudit cette variante :

— Allez, monsieur, on voit bien que vous n’êtes pas accoutumé de parler à des visages.

Louis François Beffara 1751-1838 “L’Esprit de Molière”.


NDLR: Vous avez le droit d’accorder peu de crédit à cette version de l’origine du nom de Fleurant pour l’apothicaire du Malade Imaginaire.

 

Les Pharmaciens du Sud

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